La Cour d'Assises de Douai a acquitté, sous les applaudissements, une femme accusée du meurtre de son mari. C'est une victoire pour les femmes et la lutte contre les violences faites aux femmes, nous explique t-on dans les journaux. Une décision qui pourrait bien faire jurisprudence, comme on dit d'ordinaire dans les chroniques judiciaires. Nous sommes invités à nous réjouir de cette décision. Je m'interroge. Je ne connais pas plus que les autres commentateurs les détails de cette affaire. La prudence s'impose. Il est tout de même surprenant que l'accusation représentée par le très médiatique Luc Frémiot, grand défenseur de la cause des femmes devant l'éternel, ait invité la Cour à innocenter l'accusée. "Acquittez là !" a t'il lancé au jury avec l'autorité d'un Dupond Moretti. "Vous n'avez rien à faire dans une salle d'audience" a t'il déclaré à l'adresse de la présumée meurtrière, ajoutant même "Je suis à ses côtés". Peu habituel dans la bouche du Ministère Public. Certes, il arrive qu'un parquetier requiert un acquittement même si ses collègues et sa hiérarchie avaient conclu à la culpabilité. Mais dans ce cas, le propos est mesuré, calculé, millimétré. Le magistrat exprime des doutes, fournit une analyse juridique fouillée, pèse le pour et le contre avant de souligner qu'au bout du compte il ne dispose pas des éléments nécessaires à la démonstration indiscutable de la culpabilité. Ici, si on en croit la presse, le magistrat a servi un discours engagé quasi militant. On peut lire dans la Voix du Nord cette présentation théâtrale du magistrat "Il descendait dans le prétoire comme un lion dans l'arène. Félin et royal. Vêtu de sa robe rouge, il s'approchait de l'accusée sans jamais l'attaquer. Il la protégeait, comme personne ne l'avait probablement fait jusqu'à présent".
Et les faits dans tout cela, comme on lit régulièrement dans les colonnes de Nord Eclair ? La presse donne peu de précisions. La Voix du Nord, sous la plume de Farida Chadri, apportait cette précision au début du procès: "« Il s'est emporté, poursuit-elle d'une voix à peine audible. Il a cherché un couteau dans l'évier. Il ne l'a pas trouvé et il s'est jeté sur moi. » Il l'étrangle, ils échangent des coups, elle reçoit une forte claque. « J'ai pris le couteau. Il était sur la table. » Le coup est porté à la gorge. Marcelino Guillemin se raidit et s'effondre. Paniquée, elle monte à l'étage, et informe le jeune Mehdi de ce qu'elle vient de faire. Elle appelle son père. Celui-ci arrive sur les lieux et maquille la scène en posant un couteau près du corps de Marcelino Guillemin : « Dans ma tête, mettre un couteau ça passerait mieux pour la légitime défense », relate Marc Lange, qui comparaît au côté de sa fille pour ce délit."
L'enquête révélera la supercherie. La femme expliquera que son mari était d'une violence quotidienne insupportable et qu'elle a vécu un enfer avec ce bourreau durant 11 ans sans que quiconque ne lui vienne en aide. Même la police a fermé les yeux. Le soir du crime, l'homme ne porte aucune arme. Il tente de l'étrangler, dit-elle et pour sa défendre, elle le tue. On peut comprendre, compatir et excuser. Peut-on pour autant retenir la légitime défense qui suppose une réponse proportionnelle à l'attaque ? La peur ne peut justifier l'acte homicide. Quand une personne cambriolée tire et tue un voleur nuitamment introduit à son domicile, on ne lui reconnaît pas la légitime défense même si l'auteur du coup de feu était terrifié. On le déclare coupable et à raison des circonstances, on lui inflige une peine symbolique.
Dans ce dossier, tous les magistrats qui s'y sont penchés, ont considéré que la thèse de la légitime défense était intenable, jusqu'à l'audience. La décision est sans doute définitive puisque ni l'accusée blanchie ni le parquet qui a assuré sa défense ne relèveront appel. D'évidence, la pauvre femme ne méritait pas la prison (elle a tout de même subi 17 mois de détention provisoire). Mais une déclaration solenelle d'innocence, on devrait pouvoir en discuter, sans être soupçonné de machisme et de mysoginie. Il ne faudrait pas que cette décision spectaculaire soit considérée comme la délivrance d'une sorte de permis de tuer.